jeudi 18 juin 2009

Les hétéro-privilèges

Je suis à l'aéroport de Berlin, super en retard, en train de rater mon avion, comme d'habitude. Aux contrôles de sécurité, un grand type essaye de me passer devant. Je lui lance un regard furibond et lui lance, en anglais, "Vous savez, moi aussi je suis presséE!".
Il prend un regard de chien battu et me répond en marmonnant. La seule chose que je comprends c'est "ma femme m'attend là bas", il me montre l'espace au delà de l'aire de contrôle.

"Ma femme m'attend".
Je lui répond, en posant lourdement mon bagage devant le sien sur le tapis roulant, "Vous savez quoi? Je n'ai pas de femme, mais ça ne change pas le fait que je suis devant vous", et je trace.

Etre mariéE et être hétérosexuelLE vous donne une position privilégiée dans cette société. En droit. Mais cela influe aussi sur la façon dont vous vous comportez. Ce type croit dur comme fer que parce qu'il a une femme, donc parce qu'il est hétérosexuel et marié, je vais le laisser passer devant moi, me sacrifiant, moi et mes impératifs, pour que la belle famille hétérosexuelle soit à nouveau réunie car c'est bien connu, privé de leur moitié masculine, les femmes ne peuvent rien.

Le pire, c'est que le type était surpris. Surpris que je lui annonce que je n'avait pas de femme. Car évidemment les femmes n'ont pas femmes, ça ébranle ses conceptions, le "bon sens" hétéronormé lui dicte qu'il n'y a que les hommes qui ont des femmes. Parce qu'il n'y a que les hétéroTEs qui ont le droit de se marier (dans la plupart des pays). Il était sans doute surpris aussi que son argument n'ai aucune valeur à mes yeux, que je ne le comprenne même pas.

Voilà comment l'hétéronorme affecte notre vie de tous les jours. C'est déjà pas assez chiant d'être en train de rater son avion. Non il faut aussi apparemment céder la priorité aux hétéroTEs. Vous pouvez donc d'hors et déjà prévoir d'arriver une ou deux heures plus tôt à l'aéroport que d'habitude.

Si vous doutez encore que les hétéroTEs sont privilégiés, rappelez vous la dernière fois que vous avez essayé de poser des vacances à votre boulot. Dans un pays où nous les pédales, gouines et trans n'avont ni le droit de nous marrier ni le droit de fonder des familles reconnues comme telles (je parle de la France là), vous serrez les dernierEs à pouvoir choisir vos dates de vacances. Pas parce que les gens qui ont des enfants passent avant. Parce que les hétéroTEs passent avant.

Cependant je me vois forcéE de nuancer mon discours maintenant que j'ai une perspective internationale. En Suède et en Norvège, l'adoption et le mariage sont autorisés pour les couples de même sexe.

J'ai une collègue et amie norvégienne et qui est mariée à sa compagne. Quand on vient d'un pays où le mariage entre partenaires de même sexe n'est pas autorisé, ça fait bizarre, je vous l'avoue. On le sait bien pourtant, que ça existe, que c'est possible, mais quand c'est votre réalité proche, ça choque au début. Et pourtant, l'hétéronorme est toujours là. Elle m'a raconté le nombre de fois où les gens ont pensé que, comme elles avaient le même nom de famille, elles étaient soeurs ou cousines.
"Est-ce que vous et votre soeur désirez une chambre avec douche et lits séparés?
_Non moi et MA FEMME nous désirons une chambre avec baignoire et lit double, merci."

Moralité, ça n'est parce que la loi dit que vous avez les mêmes droits que vous cesserez d'être considérés commes des anormaux.

jeudi 4 juin 2009

Baltic Pride

J'arrive à Riga, capitale de la Lettonie jeudi 14 mai en soirée. La fatigue est immense. Je me crash dans une auberge de jeunesse que je vous recommande chaudement, située dans la vieille
ville, vraiment pas chère et bien, Funny Franks Hostel.

C'est lorsque j'arrive je réalise la situation précaire de la marche.

Mercredi 13 mai, une majorité des membres du conseil municipal de Riga avait signé une lettre ouverte au directeur du conseil, lui demandant d'annuler l'autorisation de la Marche au motif que cet événement était indécent (!) et constituait une menace à la sécurité publique.

Les conseillers municipaux signataires de cette lettre ont indiqué que si le directeur du conseil n'avait pas annulé la décision d'autoriser la Baltic Pride d'ici jeudi 14 mai à 16 heures, ils chercheraient à en obtenir l'annulation par vote du conseil municipal. Et le jeudi 14 mai, le conseil municipal de Riga révoque donc l’autorisation de la Marche.

Je me réveille de mauvaise humeur vendredi 15 mai. Je marche dans le centre ville à la recherche d'un endroit où acheter une brosse à dent. Un nuage plane au dessus de moi. Sans raison précise, je flippe, je me rends compte à quel point je suis visible en tant que genderqueer, je marche les épaules courbées et la casquette enfoncée sur le crâne. Je réalise que quand les lois et les institutions sont officiellement contre nous, cela change complètement notre être au monde.

Je me demande ce qui va se passer si la marche est définitvement interdite. Marcherons nous quand même? à quel prix? Je n'ai aucune idée de ce que l'on peut faire dans ce genre de situation. Je n'ai jamais été à une manifestation illégale, encore moins dans un pays balte.

Les organisateurs (l’organisation lettonne Mozaika, la Ligue gay lituanienne et la Jeunesse gay estonienne) ont fait une requête en injonction auprès de la justice et se sont vu accorder une audience le 15 mai à 10 heures au tribunal municipal de Riga, qui a ensuite annulé la décision d'interdire la Marche.

Le vendredi 15 mai, à midi, je suis de retour à l'hôtel et je découvre sur mon ordinateur en direct la bonne nouvelle. Lorsque je refais une sortie dans les rues de la capitale pour trouver de quoi déjeuner, je marche déjà la tête plus haute, je me sens plus en sécurité.

Le centre ville de Riga est assez joli et comme tout y est moins cher qu'en Suède, je me fais plaisir. Il y a une soirée le vendredi soir pour la pride où je retrouve des amis militants de Hollande et de Belgique. Une Lettone à côté de moi me demande si je vais à la pride le lendemain. Je réponds que oui, je suis là pour ça. Je lui retourne la question. "Non, me dit-t-elle. L'an dernier, ils ont jetés des pierres sur les manifestants, je n'ai pas envie d'y aller."

Le lendemain, samedi 16, jour de la pride, je me réveille tôt pour assister au briefing de sécurité organisé par Mozaika. Impossible de trouver l'endroit, personne ne parle anglais, j'ai mal au pieds à force de tourner en rond alors je fini par m'offrir un énorme petit déjeuner pour me réconforter.

Puis c'est l'heure. Je me dirige vers le lieu dit. Je ne comprends pas bien où est le rassemblement au premier abord. Je passe près d'une petite foule de rassemblée autour d'un drapeau Letton. Je me dit qu'il faut vite que je trouve le lieu de la pride sinon je vais me retrouver embarquée dans la manifestation anti-pride.

Des barrières et un nombre incroyable de policiers gardent l'entrée d'un parc. Je m'y dirige. La plupart des personnes passant les barrières montrent aux policiers un pass avec le logo de la Baltic pride dessus. Evidemment je n'ai pas ce pass mais ils me laissent entrer dans le parc.

A l'intérieur les militants sont rassemblés, affairés à déplier banderoles et drapeaux arc en ciel. Au milieu du parc, une grande scène et des sièges. C'est l'occasion pour moi de saluer quelques camarades français que je n'ai pas vu depuis un moment, ils sont venus soutenir la pride et assister à une réunion du conseil d'administration de l'ILGA- Europe (Association internationale LGBTI).

Une militant de RFSL (lobby LGBT national suédois) me saute dessus, elle m'a enfin trouvée, comme j'ai tué mon téléphone suédois juste avant le départ, elle n'a pas pu me joindre et elle était morte d'inquiétude. Bon, un coin d'arc en ciel dans la main, je me positionne avec RFSL et bombe le torse pour rendre visible le logo de SFQ que j'ai collé au fer à repasser sur mon t shirt en début de semaine au bureau.



Tout d'un coup un grand bruit interromp les préparatifs à 13h tapantes. A travers les barrières du parc on voit la manifestion anti pride debuter. Ils marchent derrière un immense drapeau letton et tiennent de charmants panneaux " Homosexualité = péché" "Homosexualité= SIDA" et d'autres en letton impossible à traduire.

Sur environ 200 personnes, plus de la moitié des personnes présentes pour la pride étaient des non-baltes. D'où les "go back (rentrez chez vous)!" scandés par la manif anti pride. Un certain nombre d'entre nous se dirige vers les barrière pour voir de plus près les manifestants anti-pride. Des familles, des gens normaux, pas de skinheads. Au premier rang je remarque un grand type avec des dreadlocks blondes. Un jeune qui a l'air cool, à qui j'aurais parlé dans un bar ou dans la rue. Et là il me brandit sous le nez son panneau homophobe, comme quoi il faut se méfier quand même;

La marche peut commencer. Nous sortons du parc pour arriver dans la rue qui borde le parc. Elle est fermée par des barrières et des policiers. Des gens dans un restaurant nous regardent amusés. on avance à petits pas. Au moment de tourner dans la seconde rue deux personnes se détachent de la pride. Deux femmes habillées de robes noires et marchant pieds nus. L'une d'elle a une énorme croix chrétienne qui lui pend au coup, elle est livide et ressemble à un fantôme. Elle s'allonge à même le sol pendant que l'autre, à genou se met en position de prière. J'écarquille les yeux comme des coupelles devant ce spectacle que je ne comprends pas bien. Des anti-pride religieux se sont donc infiltré. Je les avais vu passer devant moi au moment de passer les barrières devant le parc. C'ets vrai que leurs tenues m'avaient interloqué. La sécurité de la pride affiche un sourire cynique et nous intime d'avancer, autant ne pas leur donner trop d'attention. Elles sont mitraillées par tous les photographes de presse et amateurs.

Deuxième rue bordant le parc, plus courte puis nous rentrons tranquillement le sourire aux lèvres dans le parc. La marche est finie, les discours se succèdent sur la scène, les responsables des associations baltes qui organisent la Pride mais aussi des responsables d'Amnesty International sans qui la pride ne serait pas possible, une pasteure lesbienne hollandaise et un membre du parlement hollandais également, ainsi qu'un politicien letton et une personne du bureau letton de l'égalité qui n'était venue qu'en son nom.

On se regarde tous un peu sonnés que ça soit déjà fini. Lorsque les discours se terminent , un concert commence. C'est juste à ce moment que moi et Virga nous devons filer pour prendre le bus de 16h pour Vilnius, capitale de la Lituanie. Bon alors on se faufile entre les barrières, la plupart des anti pride sont rentrés chez eux, heureusement. Dans les rues du centre ville, on croise une militante No Pride, reconnaissable par son t shirt blanc représentant un homme sodomisant un autre, barrés de rouge. Elle passe à 4 centimètres de moi. Je prends une grande inspiration avant de monter dans le bus.

Bizarement en route vers un pays où la situation est bien pire, je suis plus légère ,une fois dans le bus. Le vrai risque que les manifestants de la pride encourent se situe après la pride, alors qu'ils/elles se sont visibilisé et qu'elles se promèenent dans les rues de la ville. Se sauver avant la fin est en fait la meilleure stratégie. Mais il n'y a eu aucn incident à Riga à la suite de la pride.

Par contre le même jour il y a eu une manif interdite pour les droits des gays à Moscou et un officiel allemand s'est fait cassé la gueule. Première nouvelle que j'apprend en arrivant à Vilnius. Entre 25 et 80 militants y ont été arrêtés alors qu'ils manifestaient contre les discriminations à l'égard des personnes LGBT. La police anti-émeutes a chargé et plusieurs personnes ont été appréhendées.

Vilnius est donc la capitale de la Lituanie. La ville n'a absolument rien à voir avec Riga dans son paysage. A Vilnius il y a une association qui essaye depuis des années d'organiser une pride, LGL. Interdite chaque année. Même pour un rassemblement (pas une marche) dans un espace publique mais clos (pas dans la rue), on leur a dit NON.

Le lendemain Dimanche 17, jour de l'IDAHO je buvais un café en terrasse dans le centre de Vilnius (la nuit avait été longue, concert de la Ladyfest, festival féministe) et mes pensées vont vers Augustas, mon collègue lituanien manifeste avec SFQ devant l'amabassade de Lituanie à Stockholm pour protester contre un projet de loi discuté au parlment lituanien. Cette loi interdit toute représentation positive des relations homo , bisexuelles et poly amoureuse.


Mardi dernier (2 juin) cette loi a été votée au parlement lituanien. Seulement deux personnes présentes ont voté contre. La situation est extrêmement inquiétante. Parlez en autour de vous, dans vos assos. L'Europe ne peut pas tolérer que l'un de ses membres ignorent nos droits et travaille à notre invisibilité.