samedi 16 janvier 2010

Classe!

Comme beaucoup ici je pense, je fait partie d'une quantité de mailing-listes que j'essaye vainement de réduire au minimum. L'une d'entre elles est intitulée LGBTQ Youth World List. Il s'agit d'une mailing list de militants LGBTQ jeunesse de partout dans le monde. Il ne s'y passait pas grand chose quand j'y ai adhéré. Surtout des "qui a un contact au Pérou?" et "vous n'avez plus que trois jours pour déposer votre demande de subvention ici". Puis alors que les échanges étaient tous en anglais, tout le monde s'est mis à échanger en espagnol. Ne parlant pas l'espagnol, je m'était un peu éloignée.

Hier soir j'ai pourtant été surprise qu'un vrai débat s'amorce:

Une personne a lu cet article en anglais sur la libération queer et la lutte des classes et l'a trouvé intéressant. Elle est curieuse de savoir qui des autres membres de la mailing-liste incluent une analyse de classe dans leur travail. Où se situe le capitalisme dans notre militantisme? Est-ce que nous pensons que c'est nécessaire pour la libération de touTEs? Et Qu'est-ce que radical signifie?

Honnêtement je ne pense pas être la personne experte pour répondre à ces interrogations sur le capitalisme et la lutte des classes.
J'ai mon histoire personnelle avec le mot classe. C'est l'été dernier que pendant un atelier sur le concept de classe, j'ai vu ce mot sous un jour nouveau. Je le comprenait enfin comme un concept pour illuminer mon analyse des oppressions plutôt qu'un pivot de blabla sur le déterminisme social. La classe est un concept complexe et pas forcément enfermant. Comme le genre, la classe peut être à mon sens une narration qui apporte quelque chose à la compréhension de nos choix, de nos possibilités et des oppressions que nous subissons. Pendant l'atelier il nous a été demandé de nous concentrer sur un souvenir de notre enfance qui pour nous symbolisait la marque de la classe dans laquelle nous étions néEs. Je pense que c'est un exercice très intéressant à faire, il s'agissait de prendre quelques minutes pour y réfléchir et ensuite partager avec sa/on voisinE.
Je pense qu'on reconnaît surtout sa classe en comparant avec les autres, quand on est confrontéEs à la différence. Quand on est enfant on peut le comprendre très jeune. Mes parents (un couple hétérosexuel) se sont séparés alors que j'étais encore un bébé et j'ai grandi en voyageant d'une classe à une autre, donc c'était très facile pour moi. Et oui parce que la classe, c'est comme le genre c'est plus fluide qu'on ne veut bien le croire. Les divorces par exemple peuvent avoir pour effet de faire grandir les enfants entre deux classes. Ou bien certaines situations de la vie peuvent totalement vous faire changer de classe.
J'ai donc commencé par là, m'interroger sur les conséquences et les ramifications de ma classe sur ma vie. Ce qui m'a enfin permis de ne plus avoir honte du fait que j'ai été élevée dans une classe supérieure avec une culture sociale aristocratique. Oui, je sais, c'est du lourd. Bien sûr il me font toujours honte et d'ailleurs je les évite au possible. Mais je n'ai plus honte de faire mon coming out de classe. Parce que je pense que ce qui est honteux c'est de nier le fait que la classe d'où on vient a une influence sur les privilèges / oppressions qui affectent nos vies et celles des autres. Dans mon cas ce qui serait honteux c'est de ne pas reconnaître mes privilèges, de ne pas les analyser, de ne pas être sans arrêts conscientE dans mes choix de vies ou interactions avec les gens ou projets que j'entreprends que ça a une influence.
Ensuite je me suis vite enthousiasméE à incorporer ce nouveau concept dans ma grille d'analyse des oppressions afin d'un peu mieux comprendre le monde et comment le rendre meilleur. J'aborhe la notion "d'oppressions multiples". Ce truc est complètement idiot. Comme si les gens étaient bien rangés dans leur compartiments d'handicapés, de gouines, de femmes, de noirs etc. Je lui préfère le concept d'intersectionnalité. Oui parce que les oppressions intersectent en certains points, de manière générale, ou de manière contextuelle. Exemple de manière générale: l'âge convenable pour avoir des relations sexuelles pour les filles est moins élevé dans les classes populaires (zut comment on dit "working class" en français? populaire ça me paraît pas dire ce qu'il faut). D'ailleurs quand j'ai déménagé à l'âge de 12 ans chez mon père dans sa classe supérieure, et bien au collège parmi mes "semblables" j'étais bien la seule a avoir dejà eu une expérience sexuelle. Autre exemple: quand vous êtes handicapéE les gens considèrent que vous n'avez pas de vie sexuelle, encore moins une orientation sexuelle. Exemple contextuel: un jour quand j'attendais le bus de nuit avec des amiEs, un type m'a pris ma casquette, je suppose pour me provoquer. J'ai compris qu'il m'avait pris pour un mec quand j'ai ouvert la bouche. Là tout d'un coup, partant du nouveau présupposé que je suis une fille, il m'a rendu ma casquette. Nous devons être conscientEs que les oppressions ne partent pas toujours de nos identités, mais de ce que les autres croient voir. En matière de classe les apparences sont très trompeuses aussi parce que bien qu'une très petite partie de la société développe une culture de classe supérieure, une énorme partie de la société passe son temps à essayer d'imiter cette culture, à avoir l'air d'être de la classe supérieure.

Voilà pour ce que je voulais dire sur la classe. Pour le capitalisme je n'arrive pas encore à bien formuler ma pensée alors je laisse germer. Peut-être que cela peut en intéresser certainEs, il y aura une conférence sur le capitalisme et la libération queer à Berlin cet été, je ne fais que passer l'info, je ne suis pas sûre d'y participer.

Alors comment, si on s'intéresse un peu et qu'on est curieux, intégrer ces problématiques dans l'activisme LGBTQ jeunesse?
Bon aller à ce genre de conférence ou ateliers, pour s'éduquer, discuter, se faire son opinion.
Mais aussi soumettre ces thèmes à la discussion dans votre groupe ou votre asso. Une discussion honnête et curieuse ne fait pas de mal et peut-être qu'il en ressortira quelque chose.
Deuxio, regarder autour de soi dans son groupe ou son asso. Qui est là? des gens de toutes couleurs (je voudrais pointer au passage le fait que Blanc est une couleur), de tous les genres et expressions de genre? de toutes les orientations sexuelles (hétéro c'est une orientation sexuelle aussi hein)? toutes les dispositions? Essayez pleins de catégories d'oppressions et structures de pouvoir et remettez en question votre asso. Qui détient le pouvoir? qui n'est même pas là? qui ne se sent pas à l'aise? est-ce que le local/bureau de l'asso ou n'importe quel autres point de rendez-vous est accessible aux personnes handicapées? Il se peut que vous passiez pour l'emmerdeurSE de service. Mais c'est comme ça que les changements naissent, des critiques et des remises en question.




Enfin je voulais répondre ici à la dernière question qui je trouve est très intéressante et rarement posée de manière aussi candide: Qu'est-ce que radical signifie?

Même si tu ne fais pas devenir ton groupe soudainement un mouvement queer radical anti-capitaliste, ça vaut quand même le coup de prendre le temps d'évaluer quels sont les principaux objectifs que votre groupe soutient ou se bat pour. Et essayez de vous posez la question "est-ce que ça correspond vraiment aux problèmes quotidiens que des personnes qui fréquentent mon groupe ou mon asso?"
Par exemple l'article décrit comment le mariage et la filiation sont devenus les revendications prioritaires du mouvement LGBT à cause de l'appropriation du mouvement par les préoccupations classe moyenne capitaliste assimiliationiste et donc dominantes de certainEs.
Ca ne va pas vous surprendre d'entendre que le mariage et les enfants ne sont pas les principaux problèmes de la jeunesse queer mais plutôt l'estime de soi, l'éducation, la famille, l'isolation... alors pourquoi ne pas pousser un peu ces sujets en avant? Est-ce que c'est vraiment juste que ces sujets passent après le mariage et les enfants? Ca a un sens pour vous ça? En France 13 fois plus de jeunes homos/bis que d'hétéros se suicident. Qui meurt de ne pas pouvoir se marier légalement? Nos priorités sont à revoir!
En tant que personne transgenre (c'est à dire que j'ai une expression de genre qui ne correspond pas à ce qui est attendu de moi par les normes sociales selon le sexe qui m'a été assigné à la naissance), mon souci de tous les jours c'est comment je peut me sentir en sûreté dans les rues que j'ai envie ou besoin de traverser? Comment je peux arrêter tous ces gens qui me parlent comme si j'étais le problème et que je devrais leur dire merci pour être à peu près toléréE? Comment je peux arrêter de voir mon existence constamment débattue dans les médias comme si c'était une histoire de "style de vie" ou de choix alors que jamais on ne fait de débat si oui ou non les hétéros sont des gens bien, qui peuvent se marier ou pas, qui méritent de vivre ou pas??? Ce à quoi je fait face tous les jours c'est l'oppression.
Aujourd'hui je vis en Suède où les couples de même sexe ont le droit de se marier et d'avoir des enfants légalement. Je suis ravie pour eux/elles. Et sans ausun doute cela affecte toutes les luttes LGBTQ et quelque part ça a une influence positive sur chacun d'entre nous. Mais si vous pensez que la Suède s'est débarasséE des oppressions par cela, vous faîtes fausse route. C'est toujours une culture raciste, sexiste, classiste ... et c'est toujours homophobe et transphobe.

Ne laissez pas des hommes gays plus âgés vous dire ce qui est le plus important. Vous savez très bien ce qui est le plus important pour vous quand vous prenez le temps de vous regrouper et de parler de vos vies et de vos problèmes, ils ne vous laisserons pas parler si vous ne voulez pas jouer leur jeu (ils vous dirons que vous êtes trop jeunes pour comprendreou pour avoir une opinion, ils vous ridiculiserons peut être). Mais n'abandonnez pas. Le militantisme c'est de la survie. Se lever et rendre la survie et l'expression de TOUTE la jeunesse possible en dehors des normes hétéropatriarcales, voilà qui est déjà bien radical pour moi.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

je prefere mettre des coms sur ta page plutot qu'en mail..peut etre pourrons nous en discuter a plusieurs??
J'adore ton analyse sur "que signifie etre radicalE" et je partage tt a fait ta vision sur les priorites que les LGBT devraient avoir!!On parle de mariage et d'homoparentalite alors que le simple fait de marcher dans la rue peut etre une difficulte pour une personne qui ne rentre pas dans la norme de genre,d'ethnie,de validité,d'esthetique etc..alors meme si je ne suis pas contre le mariage gay (plutot pas unE adepte de l'institution mariage),je pense qu'il faut faire une urgence de se concentrer sur les violences quotidiennes que vivent certainEs.
GaelLE