samedi 2 janvier 2010

Genderqueer ou les légendes urbaines de ma jeunesse.

Je me souviens d'une époque où les personnes trans et genderqueer ne peuplaient pas ma vie avec autant de diversité. Je me souviens d'une époque où j'étais le/a plus informéE de toutE, où je divaguait sur la théorie queer sans que personne ne m'écoute ou ne me comprennent.

A cette époque elles, ils et iels m'encerclaient mais en silence, à distance. Ce sont les légendes urbaines de ma jeunesse.

Quand j'avais 19 ans, je suis entrée, à force de creuser, dans le "milieu" gouine parisien. "Milieu " parce que tout le monde avait peur d'appeler ça une "communauté", trop politique, trop impliquant aussi. Mais c'était bien ça, avec ses codes de reconnaissances, sa culture, ses ouvertures, ses libertés, ses subversions, ses normes aussi.

Je fumais devant le Troisième lieu et j'observais une fille de loin. Ma copine m'avait dit qu'elle savait (par une ex qui était une de ses exs bien sûr) qu'elle voulait "se faire opérer des seins". Je n'avais jamais parlé à cette personne, je ne connaissais pas son nom mais je l'observais vivre quand on se retrouvait dans le même lieu. Je la remarquais où que j'aille et la regarder me plongeait toujours dans une méditation sourde.

Une pote me chuchotait au creu de l'oreille à propos de l'amour de sa vie passée : "Jo, quand je l'ai rencontré, elle allait au Dépôt* et baisait des mecs avec son gode noir dans les backrooms". La fascination agrandissait mes pupilles.

L'ex de ma copine me racontait son premier béguin, une fille qui s'appelait Tatyana et qui prenait de la testostérone pour augmenter ses muscles. Même méditation sourde quand j'y pensais. Et je me posais un milliard de questions sur ces filles que je ne recontrerais sans doute jamais. Pourtant j'en avais envie, je voulais leur poser toutes mes questions ou juste être à leur côtés pour me prouver qu'on existe.

Dans Stone Butch Blues il y a un personnage qui m'a rappelé ces filles là, Rocco.

"A ce moment là, la porte du bar s'ouvrit et tout le monde se tut. Debout dans l'embrasure de la porte, se tenait une montagne de femme. Elle portait une veste en cuir noir non fermée. Son torse était plat et il était clair qu'elle ne portait pas de binder. (...) Rocco. Sa légende l'avait précédée. (...)
Jan m'a dit un jour que Rocco avait été tabassé tellement de fois que personne ne pouvait compter. La dernière fois que la police l'a tabassé elle a frôlé la mort. Jan a entendu dire que Rocco avait pris des hormones et avait subit une opération des seins. Maintenant elle travaillait en tant qu'homme dans une équipe de construction. Jan a dit que Rocco n'était pas la seule butch à avoir fait cela. C'était comme un conte fantastique. Je ne le croyais qu'à moitié mais ça me hantait."

Le personnage principal du livre de Leslie Feinberg, Jess, passe sa transition puis sa vie de personne transgenre dans une solitude poignante, rejetéE pas sa fem, évitant les bars lesbiens et dans la peur d'être découvertE dans le monde hétérosexuel. Pendant toutes ces années elle pense à Rocco. Elle voudrait lui parler, elle la voudrait "comme une maison dans laquelle rentrer quand elle n'est pas assez forte". Elle n'a jamais parlé à Rocco, et Rocco ne sait sans doute même pas qui est Jess.

C'était avant. Avant qu'on ai les mots pour parler de nous. Avant qu'on cesse d'en avoir honte. Avant qu'on construise nos communautés d'aujourd'hui.

Genderqueer ça veut dire qui ne rentre pas dans la norme binaire du genre. Ca ne se définit pas en termes d'opérations, d'appareil génital, de chromosomes, d'hormones, de papier d'identités etc...

Genderqueer c'est une expérience, celle de la subversion.

... et du prix qu'on paye pour celle-ci, choisie ou pas, du prix qu'on paye pour tenter de nous exprimer et d'être nous-mêmes.

Parfois j'ai l'impression qu'être genderqueer c'est toujours être une légende urbaine.

Pour encore beaucoup d'entre nous, c'est encore une expérience qu'on vit en silence et solitaire. De mon expérience, de celles que j'ai lues, de celles que j'ai entendues. Peut être que ce silence vient du fait que nous n'avons pas les mots pour parler de nous, peut-être ne les aurons nous jamais car notre destin est de nous faufiler entre les cases et les grilles de compréhension de ce monde.

Je voudrais que toutes/s les genderqueers sortent de l'ombre et des racontards. Qu'elles, iels et ils ne soient plus des légendes mais des réalités qui parlent de leur vies de leur expérience et de ce pourquoi on veut se battre plutôt que de ce qui nous sépare ou définit.

Et je vais commencer par moi.

Je suis genderqueer. Je ne me définit ni comme une femme, ni comme un homme. Parfois si. Mon genre est complexe et contextuel.

J'ai l'impression que que le problème que je rencontre en tant que genderqueer s'articule autour de mon invisibilité/visibilité.

En quelque sorte je passe pour ce que je suis tous les jours, et d'un autre côté je ne passerais jamais pour ce que je suis tant que notre culture aura une grille de lecture du genre aussi binaire.

Je ne passe pas vraiment pour un homme, ni pour une femme. J'engendre la confusion. En un sens c'est passer pour ce que je suis, un être inintelligible dans une société binaire, c'est bien ce que je suis. Mais personne ne se dit "ah mais oui bien sûr cette personne est genderqueer, que je suis bête". Je ne me fais jamais traiter de "sale genderqueer" dans la rue.

Cette invisibilité me fait souffrir. Elle me réduit au silence. Je me dis que les gens ne peuvent pas comprendre, que c'est juste trop compliqué pour le commun des mortels. Je me dit que j'aimerais bien qu'on me parle avec des pronoms neutres mais que ça n'est pas possible dans toutes les langues, que la plupart des gens ne savent pas que ça existe, que c'est dur de changer sa façon de parler. Dans la communauté trans j'ai peur que tout le monde pense que je ne suis qu'un FTM (Female-To-Male) en début de transition ou sur le point de transitionner. Je n'arrive toujours pas à trouver la réponse à la question de si je fais partie de cette communauté ou pas, SUIS-JE trans ou pas?

De ma visibilité je tire pas mal de souffrance aussi. J'ai souvent peur. Je peux m'amuser à confondre les gens, malgré les représailles. Mais parfois je suis juste terrifiée et je me prends à développer des stratégies pour qu'on me fiche la paix. qui ne le fait pas? Est-ce que ces stratégies contextuelles ne sont pas un peu nous aussi. Je n'aime pas ça pourtant. Je voudrais pouvoir exprimer de la masculinité et de la féminité parce que j'en ai envie, pas parce que c'est la seule solution de survie. Mais on se trouve tous/tes entre ce que l'on veut être et les possibilités qu'on a. Et les choix stratégiques que nous faisons en disent aussi un peu sur nous, mais ils ne disent pas tout.

Parfois ça ne change rien à ma vie non plus. Parfois je me demande si je suis taréE ou si c'est bien la société qui a un problème et pas moi. Jusqu'à ce que j'entende une autre voix similaire à la mienne qui sort de l'ombre.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Très beau texte, je me suis permisE de le conseiller sur un blog féministe : http://toisonrouge.canalblog.com
Amitiés,

strange esteban a dit…

joli texte oui, en espèrant que tout ça ne soit pas qu'une légende et que tu trouves enfin réponse ! bises !

Anonyme a dit…

J'adore ton texte, j'en ai presque les larmes aux yeux tellement j'ai galéré avant de trouver ds les milieux, sur internet, ds les bouquins, une once de ressemblance avec ce que je me sens être...j'ai lgtps cherché à savoir si je n'étais pas trans, mais au fond, je me rends bien cpte que cette idée ne me va pas, j'ai pas la sensation de transitionner, d'avoir un pb avec le genre qui m'est assigné, ni avec mon sexe, mais avec l'existence même du sexe/genre. Du coup que je sois elle ou il, c'est problématique. Je me sens ni l'un ni l'Autre, ou alors les deux ou plus que ça. Cette foutue société binaire n'a inventé aucune catégorie pour moi, donc je peine à me nommer. serait-il possible de rentrer en contact avec toi via le net ?? encore merci pr ce texte! voici mon adresse e-mail en tout cas evan.elli@live.fr. peut-être à bientôt !

Naïel a dit…

visibilité genderqueer!!!
bon un forum s'est créé si cela vous intéresse:)
http://nogender.incorp-fabrique.org/

Frédéric a dit…

Bonjour,
je trouve votre texte magnifique, il m'a vraiment ému... Nous voudrions le publier dans la revue littéraire française RAVAGES dans un numéro consacré au Queer, avec des textes de Judith Butler, Wendy Delorme, Jonathan Littell, et d'autres témoignages littéraires.
Nous présenterons votre blog bien sûr
En espérant votre réponse
Fréderic
Mon mail:
fredericjoignot@orange.fr

Pauline RICCO a dit…

Bonjour,

J'ai découvert votre texte justement dans la revue RAVAGES et comme son rédacteur, il m'a extrêmement émue et bousculée. Je me permets de vous écrire car je suis actuellement étudiante en master de graphisme et je fais un mémoire sur les identités et la culture queer. Ensuite cela se concrétise sur un projet soit d'édition, vidéo, site ou toute autre forme de "visibilité".
J'aimerais beaucoup discuter avec vous et vous en parler.

Si vous voulez bien avoir la gentillesse de me contacter à cette adresse :
pauline.ricco@gmail.com

Merci et à bientôt, j'espère
Pauline

P. a dit…

Ton texte m'a bouleverséE. J'aurai pu écrire certains passages moi même: de nombreuses phrases écrites sont celles qui résonnent en moi chaque jour... Bravo et merci pour ce texte qui nous fait sentir mois seulEs.